Un élément dans le chantier des réformes juridiques

La vitesse des mutations économiques et des pratiques commerciales impose aux pays et aux entreprises des adaptations souvent contraignantes de leurs  législations et leurs pratiques. La vitesse vertigineuse des ouvertures technologiques induites par les nouveaux  systèmes d’information et leurs impacts sur les échanges commerciaux a élargi les champs outils juridiques. L’expertise dans la rédaction des contrats et dans l’interprétation des dispositions du droit est devenue très importante et primordiale pour la croissance des économies. C’est un domaine qui devient de plus en plus complexe et qui mérite, de ce fait, une analyse et une lecture aussi claire que possible. Challenge ouvre le dossier de l’analyse de l’évolution de notre législation dans le domaine économique et commercial et compte continuer dans cette voie durant 2014. Le présent article sur la signature électronique est le premier d’une série que nous allons consacrer au rôle du droit dans la croissance économique.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) ont investi  ces dernières années les différents secteurs de la vie dans la société marocaine (commerce en ligne, banque en ligne, télédéclaration et télépaiement des impôts, e-Learning etc.). Ce phénomène n’est pas sans conséquences sociales, économiques, politiques, éthiques et juridiques. Le Maroc, conscient du rôle que peuvent jouer les nouvelles technologies dans l’accélération du rythme de son développement, a engagé dans le cadre de sa stratégie numérique plusieurs réformes dans le but de mettre son système juridique en phase avec les changements induits par les nouvelles technologies, mais également avec le dispositif juridique de ses partenaires économiques, notamment les pays de l’Union Européenne.

Parmi les réformes juridiques entamées par le Maroc, il convient de mentionner  l’introduction de la signature électronique (e- signature) qui va certainement bouleverser à terme les habitudes du monde des affaires et des administrations publiques. Quels sont alors les principaux apports de cette réforme en termes de sécurité juridique, quelles sont ses limites et quel impact peut-elle induire dans le monde des affaires et dans les relations des entreprises et des citoyens avec les services de l’Etat ?

La signature électronique a été introduite au Maroc en 2007 par la loi n°53-05 relative à l’échange électronique de données juridiques qui est venue modifier en profondeur certaines dispositions du DOC régissant la conclusion des contrats et le droit de la preuve. La principale innovation de ladite loi est la  reconnaissance de l’acte électronique et de la signature électronique. Par rapport à ses principaux partenaires étrangers, le Maroc n’a pas tardé à introduire la e-signature. Les pays européens l’ont fait suite à la Directive européenne du 13 décembre 1999 dont l’objectif était de « faciliter l’utilisation de la signature électronique et de contribuer à sa reconnaissance juridique »  et ce, afin de favoriser la communication et le commerce électronique entre les pays membres. La transposition de ladite directive en droit français s’est faite dès mars 2000 avec la «loi portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique ». Quant aux Etats-Unis, pays leader dans le domaine des NTIC, ils ont introduit la signature électronique la même année en vertu de « Electronic signatures in global and national commerce act » qui confère à la signature électronique la même valeur juridique que la signature manuscrite.

La loi marocaine prévoit que l’acte juridique peut être établi et signé sous forme électronique. Elle lui confère la même force probante que l’écrit sur support papier. En cas de litige, il peut être également admis en preuve sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit  établi et conservé dans des conditions garantissant son  intégrité.

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Généraliser la signature électronique ?

Toutefois, la question qui se pose est de savoir si la forme numérique peut être utilisée pour tous les actes juridiques ou s’il y a des domaines qui ne peuvent faire l’objet que d’actes sur support papier.  En effet, certaines questions sont expressément exclues par la loi  du domaine de l’acte électronique. Il  s’agit de tous les actes portant sur l’application du Code de la Famille (contrat de mariage, testament etc.) ainsi que des actes sous seing privé relatifs aux sûretés personnelles ou réelles de nature civile ou commerciale (caution, hypothèque foncière, hypothèque maritime, nantissement de fonds de commerce, nantissement des titres, nantissement du matériel, nantissement des marchandises etc.).

Une lecture attentive du dernier alinéa de l’article 2 de la loi permet de conclure que les actes authentiques portant sur les sûretés personnelles et réelles, ainsi que sur les droits réels d’une manière générale (vente  d’immeubles par exemple), peuvent être établis sous la forme électronique. D’ailleurs, la loi prévoit que les conditions et les modalités de son application aux droits réels seront fixées par  décret. Si telle  interprétation est retenue, les Adouls et les notaires vont pouvoir dans un proche avenir, dresser leurs actes sous la forme électronique. La loi marocaine ne prévoit pas d’une manière expresse que l’acte authentique peut être établi électroniquement, contrairement au code civil français qui stipule dans son article 1317 que l’acte authentique peut être dressé sur support électronique. D’ailleurs, la signature du premier acte authentique sur support électronique en France est intervenue le 28 octobre 2008, ce qui a constitué à l’époque une première mondiale.

En dehors des exceptions précitées, l’acte électronique peut porter sur toute opération civile ou commerciale.

La même valeur juridique que la signature manuscrite

Aux termes de la loi sur l’échange électronique de données juridiques, la signature électronique nécessite, pour être reconnue juridiquement, l’utilisation d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. Elle reconnaît toutefois deux catégories de signatures : la signature  électronique simple  et la signature électronique sécurisée (signature avancée en terminologie européenne) qui se distinguent par leur mode de création technique et par leurs effets juridiques, mais elles sont toutes les deux recevables en justice.

Si la loi a bien défini le processus de création de la signature sécurisée, elle est restée toutefois muette en ce qui concerne la signature  électronique simple.  Cette dernière, même si elle ne peut pas être refusée au titre de preuve par les tribunaux, elle n’a pas la même valeur juridique que la signature manuscrite. En cas de contestation, il revient à celui qui veut se prévaloir de la signature électronique, d’apporter la preuve de la fiabilité du dispositif utilisé. Par contre, la signature électronique sécurisée a la même valeur juridique qu’une signature manuscrite en raison des garanties qu’offre le dispositif de sa création. Elle est présumée fiable jusqu’à preuve du contraire. Selon les termes de la loi sur l’échange électronique de données juridiques, un acte sur lequel est apposée une signature électronique sécurisée et qui est horodaté a la même force probante que l’acte dont la signature est légalisée et de date certaine.

Il est clair que l’utilisation de la  signature (signature électronique simple ou signature électronique sécurisée) est de nature à varier en fonction de l’importance de l’opération en cause. Si pour les transactions à haut risque et de montant élevé, la signature sécurisée est plus recommandée, pour les transactions de moindre importance, la signature simple peut être retenue.

 Vu son jeune âge, la signature  électronique est appelée à gagner la confiance des agents économiques et du grand public. Le passage d’une  culture séculaire basée sur le papier, à une culture numérique n’est pas sans soulever des interrogations et des inquiétudes quant à la sécurité juridique que procure l’acte électronique. Conscient de ce souci majeur, le législateur a entouré la signature  électronique sécurisée d’un formalisme rigoureux qui lui permettra certainement de gagner dans les années à venir la confiance des opérateurs économiques et d’imposer le document électronique dans le monde des affaires et dans les relations entre administrations et administrés. Quel est donc le mode de création de la signature électronique sécurisée ?

Dispositif de création de la e-signature

Aux termes de la loi relative à l’échange électronique des données juridiques, la signature électronique doit être sécurisée par l’utilisation d’un procédé fiable d’identification garantissant le lien entre la signature et l’acte auquel elle se  rattache. Une signature ne peut être considérée comme étant  sécurisée que lorsque «l’identité du signataire est assurée et l’intégrité de l’acte juridique est garantie de telle manière que toute modification ultérieure dudit acte soit détectable ».

 La signature électronique sécurisée est basée sur un certificat électronique qui peut se présenter sous une forme physique (carte à puce ou/et clé USB) ou sous une forme logicielle (fichier). Il contient toutes les données permettant l’identification du signataire : l’identité du prestataire de certification, l’identité du signataire, les données permettant la vérification de la signature, la durée de validité du certificat, code d’identité du certificat électronique etc. A noter que le certificat peut fixer le montant maximum des transactions au-delà duquel il ne peut pas être utilisé. Le plafonnement du certificat présente un grand intérêt pour les entreprises et les administrations publiques qui souhaiteraient souscrire des certificats plafonnés par niveau de responsabilité de leurs représentants.

Le dispositif de création de la signature électronique doit être obligatoirement attesté par un certificat de conformité délivré par l’autorité nationale d’agrément et de surveillance de la certification électronique. De même, il ne peut être mis en place que par un tiers de confiance dûment agréé par la même autorité (prestataire de services de certification électronique). Le certificat de conformité n’est délivré, aux termes de la loi, que lorsque le dispositif de création de signature électronique met en œuvre des techniques  protégeant  la signature et l’acte auquel elle se rattache contre toute falsification

Autorité nationale d’agrément et de surveillance de la certification électronique (ANASCE)

Le système de signature électronique est placé par la loi sous le contrôle d’une autorité nationale dont la mission consiste essentiellement à agréer et contrôler tout dispositif de création de signature électronique au Maroc. Cette mission, initialement confiée à l’Agence Nationale de Réglementation de la Télécommunication (ANRT) a été transférée en vertu du Décret n°2-11-509 du 21 septembre 2011 à la Direction Générale de la Sécurité des Systèmes d’information (DGSSI) relevant de l’Administration de la Défense Nationale.

 Le certificat de conformité et l’agrément sont octroyés au bout d’un processus bien défini par les textes réglementaires pris en application de la loi. Le demandeur doit répondre à un cahier des charges précis, notamment en termes de sécurité, de fiabilité technique, de confidentialité et de la disponibilité d’un personnel ayant les qualités requises pour la fourniture de services de certification électronique.

A l’heure actuelle, seul Barid Al Maghrib est agréé en qualité de prestataire de services de certification électronique (tiers de confiance) habilité à émettre des certificats électroniques sécurisés et à gérer les services y afférents.

Le certificat Barid eSign est matérialisé sous la forme d’une clé USB équipée d’une puce électronique contenant une clé privée et le certificat électronique. Cette puce, protégée par un code PIN personnel permet à son détenteur de signer électroniquement et de s’authentifier sur le Web. Il lui suffit d’introduire la clé USB dans son ordinateur pour pouvoir signer ou s’authentifier sur le réseau.

Etant fortement sécurisée sur le plan  technique, comme il ressort de l’exposé du dispositif de sa création et ayant une force probante sur le plan juridique, la signature électronique sécurisée réunit toutes les conditions pour conquérir la confiance des opérateurs économiques et du grand public. Ses avantages sont nombreux. Elle libère le citoyen des contraintes du temps et de l’espace dans la mesure où il peut signer ses documents à tout moment et à partir de n’importe quel endroit, il suffit qu’il ait un ordinateur à sa portée, (ordinateur fixe, ordinateur portable, tablette). Il n’a plus besoin de se déplacer à la Commune pour faire légaliser sa signature.

 Il est certain que la signature électronique va contribuer à améliorer la qualité des services publics en introduisant une forte dose de transparence ; elle est à même de libérer les citoyens et les entreprises des contraintes générées par l’entrée en relation avec l’administration publique (lenteur administrative, grèves, absentéisme). La signature d’un document électronique ne peut être retardée ni par la grève des services de la légalisation de signatures de la Commune, ni par l’absence du responsable d’un service public.

Pour l’administration elle-même, la signature électronique est d’une grande importance. Elle lui permet d’une part de tirer profit des possibilités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication par la dématérialisation des procédures dans un cadre juridiquement sécurisé, et d’autre part d’affecter ses ressources humaines aux travaux à forte valeur ajoutée. Au sein même des administrations publiques et des grandes entreprises publiques et privées, le courrier, les rapports, les procès verbaux… peuvent être dématérialisés, y compris ceux présentant un caractère sensible à partir du moment où ils seront signés électroniquement. Mais le secteur qui va sans doute être boosté par la reconnaissance de la valeur juridique de la signature électronique, est celui du commerce en ligne qui enregistre déjà depuis plusieurs années une forte croissance.

Conscientes de l’intérêt que présente la dématérialisation, plusieurs administrations et entreprises se sont déjà lancées dans cette voie et parmi lesquelles on peut citer :

– la Direction Générale des Impôts avec son portail qui permet la télé déclaration et le télépaiement de certains impôts (TVA, IR, IS, Taxes locales). Le projet de Loi de finances pour l’année 2014 prévoit même l’obligation pour les professions libérales de télédéclarer  et télépayer l’impôt sur le revenu,

 -la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale qui a mis en place depuis plusieurs années un portail internet permettant à ses affiliés d’effectuer en ligne les déclarations et les paiements des cotisations sociales.

Quel bilan et quel avenir pour la signature électronique au Maroc ? 

A ce stade, il est prématuré de porter un jugement sur la signature électronique, vu que sa mise en place n’a commencé réellement qu’à partir de 2012, c’est-à-dire après la publication des textes d’application de la loi sur l’échange électronique de données juridiques  et de l’octroi de l’agrément à Barid Al Maghrib en tant que prestataire de services de certification électronique.

Le plan Maroc numéric 2013 a fixé comme objectif d’atteindre 60.000 certificats à fin 2013. On est certainement très loin de ce chiffre, mais il ne tardera pas à être atteint et même dépassé du fait de la transition numérique déjà en cours dans la société marocaine. La signature électronique va contribuer au renforcement de la confiance du grand public et de l’entreprise dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Elle est le pivot de la confiance numérique à côté de la lutte contre la cybercriminalité et la sécurisation des réseaux et des  systèmes d’information. La dématérialisation est en marche, elle avance à un rythme accéléré vu les avantages qu’elle présente en termes de coût, de gain de temps, de maîtrise de risque et d’amélioration de la qualité des services rendus au citoyen. L’introduction de la signature électronique n’est qu’une étape d’un long processus de réformes juridiques. En effet, les changements induits par les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui se succèdent à une vitesse impressionnante ont eu pour effet d’ébranler les constructions juridiques classiques. Le Maroc se doit  d’engager le chantier de mise à niveau de son système juridique dont l’élaboration est antérieure à l’ère numérique. Des branches entières de droit, comme le droit des affaires, risquent de se trouver en décalage avec la  réalité si elles ne suivent pas l’évolution technologique.

Chentouf Abdel Hafid 

http://www.challenge.ma/un-element-dans-le-chantier-des-reformes-juridiques-19856/

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